Association pour la Sauvegarde du Ramesseum

Sauvons la tombe de Ramsès II

Christian LeblancRamsès II est l'un des pharaons au règne le plus long ! Sa présence à la tête du royaume des Deux Terres pendant plus de 66 ans fait qu'il a largement et durablement marqué de son empreinte la XIXe dynastie. Grand bâtisseur, il a élevé de nombreux monuments, du nord au sud, de Pi-Ramsès à Abou Simbel, de Memphis à Ouadi el Seboua, sans oublier Abydos et Thèbes. Ses effigies sculptées dans la pierre demeurent parmi les plus beaux exemples de la statuaire pharaonique… Même sa momie retrouvée dans la cachette des momies royales nous est familière, tant elle est reproduite, et tant les scientifiques se sont mobilisés pour la sauver, la faisant même venir en avion à Paris pour la soigner ! 
Mais de sa tombe, de sa "demeure d'éternité", il n'en est quasiment jamais question. En effet, si dans la Vallée des Rois une grande renommée entoure la tombe de son père Séthi Ier, ou bien celles de ses successeurs comme Ramsès III ou VI - sans parler de la tombe d'un petit roi qui n'a régné que 9 ans ! - , la sienne demeure inconnue, ne suscitant jusqu'ici qu'un intérêt "confidentiel", voire intimiste.
Christian Leblanc, qui depuis 1993 détient la concession de fouille a accepté de nous présenter cet hypogée. Il a accepté de nous expliquer les raisons de la discrétion dont elle est entourée. 
Il le fait parce que, aujourd'hui, le constat est sans appel : cette tombe est en danger ! Dressant un état circonstancié de son histoire, des affres qu'elle a subies, des travaux qu'il a menés, il détaille les mesures urgentes qui doivent être prises pour sauvegarder la demeure d'éternité de l'un des plus grands monarques de l'antiquité. Pour qu'un jour, aussi, on puisse la visiter !

Égypte actualités : Depuis toujours, la tombe de Ramsès II n'est pas accessible aux visiteurs de la Vallée des Rois. Pouvez-vous nous retracer les épisodes de l'histoire de cette sépulture référencée KV.7 (KV = King's Valley) ?

Christian Leblanc : Ce que l'on sait déjà, c'est que Ramsès II fit mettre en chantier sa tombe relativement tôt. Un ostracon, trouvé en 1912 au Ramesseum par E. Baraize, nous apprend en effet que c'est en l'an 2, le deuxième mois de la saison d'hiver (peret), le jour 13, que l'on mit à exécution ce grand projet dans la Vallée des Rois, en présence du roi, du vizir Paser et du scribe et directeur des travaux à l'ouest de Thèbes, Ramosé. Le texte précise même que "le chef des artisans, muni d'un burin d'argent, entama le creusement du premier corridor". Dès lors, il fallut progresser dans les entrailles de la montagne thébaine et décorer cette immense sépulture, longue de plus de 160 mètres et composée de corridors, de salles et d'annexes. Si ce travail prit une bonne douzaine d'années, il fut aussi entravé en raison de la présence de marnes qui en certains endroits, posèrent de réels problèmes aux artisans. C'est, comme nous avons pu le constater, ce qui obligea sans doute à modifier le plan à partir de l'antichambre, expliquant que la tombe se présente sur deux axes au lieu d'être sur un axe unique, comme la règle le voulait depuis le règne d'Akhenaton. Malgré ces difficultés d'origine géologique, on sait que la sépulture fut achevée et même entièrement décorée en bas-relief. Les scènes et les textes funéraires avaient été peints jusque dans la dernière salle. Prête, elle put recevoir la dépouille de Ramsès II, lors de sa mort survenue en 1212, après un règne de 66 ans et deux mois... 
Ce que l'on sait encore, c'est qu'en l'an 29 du règne de Ramsès III, la tombe de Ramsès II comme d'ailleurs celle de ses fils (KV.5) située presqu'en face, connut une tentative d'effraction. Trois artisans de Deir el-Medineh, Ouserhat, Pentaour et Kenna furent dénoncés pour avoir tenté de débloquer ces deux sépultures. Tout rentra pourtant dans l'ordre jusqu'à la fin de l'époque ramesside, période où les nécropoles royales de Thèbes-Ouest furent soumises à un pillage systématique. Celle de Ramsès II n'échappa pas à ce tragique destin et la momie du roi fut, comme on le sait, transférée dans la célèbre "cachette royale" (DB.320) découverte officiellement en 1881. 
Après la fin de l'époque ramesside et ce, jusqu'à l'époque gréco-romaine, l'histoire de la Vallée des Rois est plongée dans un profond silence. Au cours des premiers siècles de notre ère, ce sont des touristes ou "curieux" venant d'Occident qui nous font renouer avec l'histoire du site. Ces étrangers visitent alors les syringes et y laissent même des messages ou tout simplement leurs noms. On sait par exemple qu'un certain Echeboulos, originaire de Rhodes ou encore un certain Selaminiôn venu de Chypre, sont descendus, parmi d'autres, dans la tombe de Ramsès II. Si d'après Diodore de Sicile et Strabon, pas moins d'une quarantaine de tombes étaient apparemment connues encore à cette époque, on sait au moins qu'une douzaine d'entre elles étaient accessibles en raison des graffiti gravés ou peints qui ont été relevés sur leurs parois.

ÉA : À vous écouter, la tombe de Ramsès II était donc visitée à l'époque gréco-romaine ?

CL : Oui, mais c'est aussi à partir de cette époque que les choses commencent à se compliquer. Aménagée au bas de la Vallée des Rois, c'est-à-dire à un endroit où convergeaient les eaux lors de pluies torrentielles, la tombe de Ramsès II a dès lors été un réceptacle privilégié à une époque où le lit de la vallée avait été comblé notamment par les débris de taille qui provenaient du creusement des tombes. Ce comblement a favorisé l'entrée des eaux dans la tombe, si bien qu'elle fut entièrement remplie au fil du temps par une quantité impressionnante de sédiments torrentiels. On a pu compter jusqu'à une douzaine de fortes pluies entre la fin de l'époque ptolémaïque et le début de son dégagement à l'époque moderne. Plus grave encore, c'est que la tombe, creusée dans le calcaire mais aussi dans les marnes, a été soumise à un phénomène de contrainte géologique : les marnes ayant gonflé au contact de l'eau ont entraîné une pression sur la structure calcaire, provoquant une déstabilisation de cette architecture rupestre dont les conséquences furent d'importantes destructions.

ÉA : C'est sans doute ce qui fait que bien des archéologues ou égyptologues constatant les difficultés de la dégager ou de la fouiller, n'osèrent pas entreprendre un tel chantier ?

CL : En fait, au XIXe siècle, la tombe de Ramsès II intéressait pourtant les collectionneurs et les premiers égyptologues, car on pensait bien, à l'époque, y retrouver le sarcophage royal. Mais fallait-il encore pouvoir parvenir jusqu'à la "chambre d'or". Et ce fut là, le début des premières fouilles. On sait notamment que le consul Henry Salt avait demandé en 1817 à son agent local, Yanni, d'y procéder à des fouilles. Ce dernier s'aventura bien difficilement dans les premiers corridors, mais abandonna le travail après avoir déblayé seulement une soixantaine de mètres. Après cette première tentative, Jean-François Champollion et Ippolito Rosellini s'intéresseront eux aussi à cette tombe en 1829, mais une pluie ayant perturbé de nouveau les lieux avant leur venue, ils ne firent finalement que déblayer ce que Yanni avait déjà fait, ne dépassant pas dans leur travail, l'endroit où se trouvait un puits, profond de près de 6m. Richard Lepsius reprit le travail en 1844. Perspicace et enthousiaste, il réussit non sans peine à se glisser sur les déblais jusqu’à la dernière salle, et parvint à faire établir par son architecte un premier plan complet et fiable du tombeau. Si son but, comme il l’écrivit dans son journal de chantier, était également de retrouver le sarcophage de Ramsès II, il dut malheureusement déchanter après avoir pratiqué plusieurs sondages infructueux dans la chambre funéraire. Bien plus tard, de décembre 1913 à janvier 1914, Harry Burton reprit le déblaiement des corridors, là où l’avait abandonné Lepsius, et atteignit l’antichambre qu’il ne dégagea cependant que partiellement, peut-être arrêté par une forte pluie qui fit irruption dans la vallée et dont les eaux chargées de sédiments s’engouffrèrent une fois de plus à l’intérieur de la tombe. 
Après une pause longue de quelques décennies, l’activité archéologique ne se ranima dans la tombe de Ramsès II qu’en 1993, lorsque les autorités de l’Organisme des Antiquités me confièrent cette concession où un laborieux travail restait à faire. En vue de reprendre le dégagement là où il avait été arrêté, il me fallut d’abord faire appel à des ingénieurs et techniciens du Centre d’études techniques de l’équipement (CETE) de Bron pour purger de grandes aiguilles qui se dressaient dans la salle du sarcophage, puis conforter les parties les plus dangereuses de la voûte, en y fixant des ancrages.
Le travail de la fouille put alors reprendre jusqu'en 2000 et nécessita huit campagnes pour dégager la tombe. Aujourd'hui, il ne reste plus que le puits et deux petites chambres à vider de leurs déblais.

ÉA : Ces fouilles vous ont-elles permis de retrouver des vestiges du mobilier funéraire de Ramsès II ?

CL : Oui, mais dans un état souvent très fragmentaire. Il faut dire que les pilleurs de l'antiquité avaient fait là un véritable saccage. Ma plus grande surprise a été de retrouver une partie du sarcophage de Ramsès II, mais en morceaux ! Quelques centaines de fragments en "albâtre égyptien", décorés du Livre des Portes. Ce sarcophage devait être finalement très proche de celui de son père Sethi Ier, conservé aujourd'hui au Sir John Soane’s Museum de Londres. Dans une petite cavité creusée dans la fosse de la chambre funéraire, j'ai découvert aussi plusieurs fragments du réceptacle à canopes, lui-même en albâtre. Dans cette même pièce, subsistaient également les restes d'un grand chaouabti momiforme de Ramsès II en anhydrite bleue, puis deux très belles têtes de guépard ayant appartenu à son lit funéraire. À cela s'ajoutent encore plusieurs fragments de jarres, de bouchons et de jolis couvercles en calcaire peints d'un motif floral. Des restes de vases en albâtre jonchaient encore le sol où furent aussi retrouvés des orthostates décorés de reliefs, dont l'un évoque un lit funéraire à tête de vache. Mais en plus de ces reliques et de ces vestiges, c'est aussi tout le décor de la tombe que j'ai pu identifier au cours de ces campagnes. Et sur ce point, les recherches permirent de retrouver le programme iconographique complet qui avait été mis en place : de belles scènes d'offrandes mais encore de nombreux textes funéraires illustrés (Litanies du Soleil, Livre des Portes, Livre de l'Am-Douat, Livre des Morts, Livre de la Vache du Ciel, Rituel de l'ouverture de la bouche), le tout reproduit sur les parois des corridors et des différentes salles. Tout ce décor avait été traité en bas-relief, une technique qui fut abandonnée par la suite et remplacée, dans les autres tombes royales, par un relief "dans le creux".

ÉA : Comment envisagez-vous aujourd'hui l'avenir de cette tombe ?

CL : Bien que sans trop y croire au début, mon souhait, en prenant la responsabilité d’étudier cette tombe, n’avait pas été seulement d’en achever la fouille, d’en connaître mieux son histoire, mais également de la sauver si les moyens aussi bien techniques que financiers pouvaient nous le permettre. Dans un premier temps, il fallut donc établir un constat de l’état général des lieux et surtout des murs ornés de reliefs. Ce laborieux et indispensable travail a été effectué et doit servir de support à toute intervention future. Venant compléter ce relevé systématique, quelques essais de nettoyage ont été expérimentés dans les corridors et ont révélé surtout la fine qualité des reliefs, digne des meilleurs artisans de l’époque, même si les eaux de pluie, par leur contact répété avec les parois, en avaient fait progressivement disparaître les couleurs. Il y avait encore à trouver les solutions les mieux adaptées à un confortement de cette architecture rupestre pour éviter qu’elle ne se dégrade davantage. Si, au cours du dégagement des salles, des ancrages avaient pu être fixés dans les plafonds pour en assurer une meilleure stabilité, il fallait maintenant envisager de procéder à une conservation plus pérenne de toute la structure et en particulier de la chambre sépulcrale. Depuis 2016, c'est le confortement de la tombe qui est au programme de nos campagnes. Ce travail avance à un bon rythme et doit déboucher ensuite sur la restauration de la chambre funéraire. Un beau projet se dessine mais il sera fort coûteux. Il conviendra de restructurer l'architecture, de nettoyer les parois et de valoriser cette sépulture afin de lui rendre autant que faire se peut de sa splendeur d'antan. Le but est bien évidemment de pouvoir ouvrir un jour la tombe de Ramsès II au public, mais pour ce faire, nous avons besoin de fonds, car un tel projet nécessite non seulement des compétences mais aussi beaucoup d'argent. Si les compétences sont là, les fonds en revanche manquent cruellement ! 
Entre la fantastique renommée légendaire qui en fit le "Soleil des Princes" ou le "Roi des Rois", et l'envergure puis le charisme de son oeuvre que lui reconnaissent les monographies inspirées par son règne, Ramsès II incarnera encore longtemps cette Égypte du Nouvel Empire, prospère et fastueuse, dont il fut, avec Thoutmosis III et Amenhotep III, sans doute l'un des promoteurs les plus expérimentés et les plus glorieux. C'est la raison qui me pousse aujourd'hui à lancer cet appel urgent : aidez-nous à sauver la "demeure d'éternité" de cet illustre pharaon dont le nom comme les actions durant son règne ont tant fait rayonner l'histoire de la prestigieuse civilisation pharaonique ! 
Pour contribuer à la sauvegarde de la tombe de Ramsès II, faites un don sur le site de notre association : FAIRE UN DON

Propos recueillis par Marie Grillot

Illustration : Christian Leblanc dans la Vallée des Rois (cliché Marie Grillot) et, à droite, portrait de Ramsès II sur l'embrasure d'une porte de corridor de sa tombe (Cliché © Yann Rantier - CNRS-MAFTO/ASR)

Bibliographie :
- Chr. Leblanc, "The Tomb of Ramesses II and Remains of his Funerary Treasure", Egyptian Archaeology, Bulletin of the Egypt Exploration Society, n° 10, Londres, [mars] 1997, pp. 11-13. 
- Chr. Leblanc, "Les récentes découvertes dans la tombe de Ramsès II", Bulletin de la Société Française d'Égyptologie, n° 141, Paris, [mars] 1998, pp. 20-35 et fig. 1-6. 
- Chr. Leblanc, Les monuments d'éternité de Ramsès II. Nouvelles fouilles thébaines. Éd. de la Réunion des Musées Nationaux. Coll. "Les Dossiers du musée du Louvre", Paris, 1999. 
- Chr. Leblanc, "La tombe de Ramsès II (KV.7) : de la fouille archéologique à l'identification du programme iconographique", Memnonia, tome XX, Le Caire, 2009, pp. 195-211, fig. 1-6 et pl. LIV-LVIII = "The Tomb of Ramesses II (KV.7) : From its Archaeological Excavation to the Identification of its Iconographical Program", Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts Abteilung Kairo, Band 66 [2010], Berlin, 2012, pp. 161-174 et fig. 1-17.
- Chr. leblanc, "De la dispersion au récolement des vestiges de l'équipement d'éternité de Ramsès II", Memnonia, tome XXIV, Le Caire, 2013, pp. 129-146 et pl. XXX A-B.
- Chr. Leblanc, La Mémoire de Thèbes, éd. L'Harmattan, Paris, 2015, pp. 279-297 et pl. 159-175.

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